Didier Kowarsky, artiste de la scène et de la piste, engagé sur la voie de l'oralité et du conte était un maître de la parole et donc profondément, un maître du silence.
Pour beaucoup d'entre nous c'était un compagnon, un frère, un ami.
Ses investigations l'ont amené quelques temps avant sa mort à désirer se retirer, il disait : « Je voudrais écrire un livre sur ma recherche, un deuxième sur ma collecte de citations et un troisième sur les contes que j'ai épinglé dans le temps. »
Et sereinement, il s'est fait la malle...
Les grands esprits s'en vont toujours trop tôt.
L'héritage immatériel qu'il nous a laissé n'a pas de nom, comment raconter l'ineffable ?
Dans ce livre sont assemblés tous ses écrits à travers une sorte de revue collective où photos et lettres d'artistes rendent témoignage de son parcours, une sorte de chronique artistique, comme un jeu de cartes de Tarot, à consulter suivant la météo de chacun.e.
Je constate aujourd'hui que les lettres des artistes qui l'ont rencontré sont évocatrices, Didier avait raison, il faut faire confiance à l'énoncé d'une seule phrase, glissée au creux de l'oreille, en scène ou hors-scène, de ces phrases qui nous ont fait entrevoir le ciel et nous rappelle le vertige de l'instant.
Je n'ai pas tout répertorié, j'ai fait des choix, respectant aussi ceux ou celles qui n'ont pas souhaité s'exprimer. Comme dirait Éric Premel, chacun.e a son Kowarsky et les secrets qui vont avec... et c'est assez classe somme toute !
Je n'ai rien censuré pour qu'on prenne la mesure de son audace et de son élégance. Elles ont ouvert des espaces de liberté aux artistes et aux invisibles, des espaces où la parole a pu inventer des modes d'expressions outrepassant les limites des langues, des cultures et des disciplines artistiques.
Ce livre est le marqueur d'une époque : celle du renouveau du conte porté par des personnalités marquantes où Didier Kowarsky a œuvré en agitateur, en pitre et en provocateur iconoclaste.
Et puis c'était un érudit, un homme de connaissance, doté d'une curiosité non-balisée, il étudiait les textes anciens, les êtres, et il les confrontait sans cesse à l'actualité, à la scène. Dans ses courriers, il signait « Mercossian l'Horizon », dans ses spectacles, il se disait « affabulateur » et il disait aussi : « de toute manière, se définir c'est se séparer, alors peu importe ! ».
En 1998, j'ai commencé à le suivre alors que j'étais apprentie conteuse et depuis 2002 il n'a cessé de me partager sa pensée, « ses passes magiques » et d'assurer la direction artistique de tous mes projets. En partenariat avec Freddy Morezon qui assurait notre diffusion, j'ai défendu aussi à mon tour ses projets au sein de la Cie Izidoria.
Ce livre est une invitation au souvenir et à la découverte, à travers ses spectacles, sa recherche, ses courriers, la presse, ses articles.
Je remercie Bàshka Paczula, Fatima Aïbout, Corinne Marlot et Laurence-Loutre Barbier avec qui ce livre a pu être réalisé.
Didier m'a toujours encouragé à tenir des carnets de combats et même si j'étais mauvaise élève, c'est grâce à eux que ce livre a pris forme, c'est pourquoi je ne suis pas autrice mais rapporteuse : vous trouverez à travers ce livre « les carnets de D.K. »
Didier disait que les carnets sont à lire plus tard, c'est une manière de réaliser, de créer une dissonance dynamisante, de mettre en mouvement la perception. Ils ont un effet dans l'instant, ce sont des moments de gloire qui meurent l'instant d'après. Il disait : « La langue, le langage, qui parle ? »
Tout ceci a fini par agir, sur lui, sur nous, comme dans un conte de l'Égypte ancienne où l'on rencontre dans un souk un magicien qui écrit des formules sur un papier qu'il trempe dans l'eau et qu'il nous fait boire pour mieux les faire vivre en nous.
C'est aussi comme ce lièvre de mars qui tout à coup s'enfuit en laissant là, devant nous sur le chemin, sa petite queue blanche. Tu la ramasses, c'est une feuille de papier plié, tu la déplies : tu découvres une phrase, jamais la même, où il est écrit un truc du genre : n'oublie pas de te moquer de toi-même.
Tout ceci influe dans nos pratiques, nos silences, nos perceptions, et on vieillit en devenant des enfants émerveillés.